Jacques Audiard sur sa passion pour le cinéma
Le réalisateur de Dheepan, lauréat de la Palme d'Or, explique pourquoi sa vie a toujours tourné autour de la cinématographie

Ci-dessus : un alambic de Dheepan
Si je ne faisais pas de films, je ne saurais pas grand-chose. Je ne vivrais pas vraiment. Faire un film est ma façon de découvrir les choses. Je ne fais pas de documentaires, alors penser au cinéma m'emmène dans des endroits où je n'irais pas autrement. Je pense que le cinéma doit porter sur quelque chose et il doit vous permettre d'apprendre des choses. Il ne peut s'agir que de divertissement, même si bien sûr, cela ne veut pas dire que les films peuvent être ennuyeux. J'écris mes propres scripts et chaque script me prend ce qui semble être une éternité à écrire - jusqu'à un an et demi - donc je passe beaucoup de temps à penser au hasard à ce qui devrait suivre. Choisir ou ne pas choisir un sujet semble tout à fait accidentel.
Tous mes personnages sont en train de devenir quelque chose. Dans un premier film, j'ai suivi mon héros alors qu'il inventait sa propre vie en racontant des mensonges sur un passé héroïque en tant que membre de la résistance. Comme nous, cinéastes, il en vient à croire à ses propres fictions. Le personnage principal d'Un prophète est au départ un cas désespéré : un maghrébin dans une prison française. Quoi de plus banal – ou de plus désespéré ? Vous pensez qu'il ne survivra pas en milieu carcéral. Au fur et à mesure qu'il apprend, cependant, il acquiert la sagesse alors même qu'il devient plus brutal. Il devient quelqu'un de remarquable. L'héroïne de Rouille et d'os [joué par Marion Cotillard] entraîne des orques, et elle se fait amputer les jambes après un accident. Le personnage masculin est un vagabond, un homme violent qui travaille comme videur, puis se bat à mains nues pour un prix en argent. Mais les deux changent ; ils deviennent des personnes différentes. Mes films n'ont aucun message politique. Je veux que les gens ressentent des émotions – d'espoir, d'amour et de mélodrame.
J'ai toujours aimé les films mais mes goûts changent selon ce que j'essaie de faire avec les miens. Il y a des années, j'ai regardé plus de dix fois Le Chagrin et la pitié, le documentaire de Marcel Ophuls sur l'Occupation. Et il fut un temps où j'étais dingue de Lacombe Lucien de Louis Malle, qui se déroule également dans l'Occupation des années 40. Je pensais à la France de ces années-là. Même quand j'apprécie vraiment un film, je pose toujours des questions. Non : « Puis-je faire ça ? » parce que très probablement je ne pourrais pas et ne le ferai pas. Au lieu de cela, je demande : « Est-ce que c'est ce que vous pouvez faire avec un film ?
Je ne peux travailler que dans un endroit que je connais. Il se passe quelque chose en France, en Europe – en Grande-Bretagne aussi je pense : on parle d'« immigration » comme si c'était juste un problème social et ça ne m'intéresse pas. Mais nos vies sont changées par l'étrangeté des vies qui nous entourent et cela m'intéresse.
Je n'aime pas non plus les films dits « internationaux ». Dans les années 1970 [en France], on pouvait voir des films britanniques, espagnols, français ou allemands. Ils étaient sous-titrés. Mais les gens n'aiment pas le sous-titrage maintenant. Ils veulent que l'expérience du film soit peu exigeante. Donc vous avez des remakes. Je ne pouvais pas refaire un film. Les films sont ma vie et je ne peux pas revenir sur ma vie. Vous ne pouvez pas revivre les choses.
JACQUES AUDIARD a remporté à deux reprises le César du meilleur film et le BAFTA du meilleur film non en langue anglaise, pour The Beat That My Heart Sauté (2005) et Un prophète (2010). Dheepan a remporté la Palme d ' Ou au Festival de Cannes 2015. Il raconte l'histoire de trois réfugiés tamouls qui fuient le Sri Lanka ravagé par la guerre civile pour la France, dans l'espoir de reconstruire leur vie. Le DVD sera disponible à partir du 8 août